LE NAUFRAGE


Le paquebot faisait depuis longtemps le service entre Bordeaux et nos possessions d'Afrique. Il partit le 9 janvier à 7h00 de Bordeaux, ayant à son bord 125 hommes d'équipage, 215 passagers de pont, 269 passagers de cabine dont 18 missionnaires de la congrégation de Saint-Esprit et parmi ceux-ci des colons d'élite de l'O.A.F., le colonel Brulard, Mgr Hyacinte Jalabert évêque de Dakar, Granier, directeur de la société du Pacifique, Mailhart, importateur quasi célèbre de Grand Bassam et Adenier, directeur des chemins de fer du Dahomey. Tous, aventuriers, commerçants ou missionnaires allaient satisfaire dans la brousse leur soif de conquête pacifique. De plus, se trouvaient à bord 300 tirailleurs Sénégalais.

Dernière photo de Monseigneur Jalabert, évêque de Dakar, peu avant sa mort tragique dans le naufrage du paquebot l'AFRIQUE.

 

C'était vendredi, le paquebot remonta la Gironde, stoppa au Verdon, y passa la nuit... Le samedi, à 8 heures, il repartit. peu après un homme d'équipage vint avertir le capitaine Le Dû, un vieux loup de mer, populaire sur les océans, que l'eau apparaissait dans les cales et dans la chaufferies. En même temps, le chef mécanicien demandait au capitaine d'infléchir de 10 degrés la soute du navire, afin que les hommes puissent travailler aux machines sans être génés par l'eau, qui, lorsque le navire donnait à tribord, leur arrivait jusqu'aux épaules. doù venait cette eau? On la rechercha sans y parvenir... Le danger devenait pressant, car les pompes fonctionnaient mal. Des escarbilles que l'innondation avait transportées avaient obstruaient les crépines. l'eau monta tout le jour et toute la nuit...

La dimanche, à 11 heures du matin, la situation devint critique. On continuait à vouloir évacuer l'eau par des moyens de fortune et le capitaine s'obstinait à vouloir chercher la voie d'eau. A ceux qui lui demandaient de virer de bord, il répondait qu'il entendait gagner la haute mer par ses propes moyens et qu'il viendrait à bout du danger...

La journée passa encore, alarmante. Vers minuit "fatalité" la tempête se déchaine. Des lames monstrueuses coupaient la route. Le capitaine décida de réunir ses officiers en conseils et enfin, l'ordre fut donné de virer de bord dans la direction de la Pallice.

C'est alors, que l'on s'aperçu que les machines fonctionnaient de plus en plus mal. Là-bas, sur la côte, nul ne se préoccupait plus de l'Afrique, le croyant en sûreté sur la bonne route... Cependant un premier S.O.S. vint donner l'alarme au gabier Semelin de la Pallice. Un télégramme suivit:"envoyer bâtiment pour navire naufragé Afrique".

Huit navires partirent en même temps de Nantes, Rochefort, Saint-Nazaire, La Rochelle et la Pallice. Le paquebot Ceylan, qui voguait vers l'Amérique du Sud se trouvant dans les parages du sinistre reçut l'ordre de rallier l'Afrique. Trois remorqueurs, le Cêdre, la Victoire et l'Hippopotame, quittèrent leur base pour aider au convoyage...

D'un navire à l'autre la T.S.F. transportait des messages.

-Que se passe t'il?

-Machines de l'Afrique immobilisées par voies d'eau dans la chaufferie de tribord. Navire en grand danger.

Abord de l'Afrique l'eau montait plus que jamais. Les passagers, l'équipage eurent un peu d'espoir lorsqu'ils aperçurent le Ceylan qui arrivait à leur secours... Il était temps. Le navire ne gourvernait plus. Le Ceylan prit l'Afrique en remorque. Pendant la première moitié de la nuit de dimanche à lundi les deux navires naviguèrent de conserve. Ils étaient dans la direction de Rochebonnes, où sans doute l'Afrique allait pouvoir être drossé. Vers 2h00 du matin des cris montèrent de l'Afrique.

-Nous échouns!...

La fatalité s'acharnait sur le malheureux paquebot. Privé de gouvernail, il venait de se jeter sur le bateau-feu qui signale aux navigateurségarés le plateau de Rochebonnes, récif dangereux qui émerge à quatre mètres de haut ...

Une large blessure s'ouvrait maintenant sur le flanc de l'Afrique et les vagues, que soulevait la tempête, y pénétraient...

C'était la fin... Un peu auparavant les navigateurs du Ceylan avaient tenté sans y réussir de débarquer les passagers et l'équipage du navire menacé... Que pouvaient-ils devant ce nouveau coups de la fortune, dans l'orage, quand les vagues déchainées, des vagues que certaines avaient plus de vingt mètres de hauteur, menaçaient leur propre sécurité...

L'Afrique chassée par la tempête, talonnée sur les hauts fonds était perdu... Pendant trois quart d'heures les passagers qui l'occupaient virent la mort arriver. Le capitaine Le Dû, impassible devant le péril, distribuait les ceintures de sauvetage; il fit mettre les canots à la mer. Hélas! la tempête était si forte que les canots se broyaient avant d'arriver sur les flots. Ou bien que la mer les rejetait comme des épaves. Seuls se sauvèrent ceux qui se jetèrent à la mer et nagèrent vers les "canots épaves" et qui y montèrent essayant de s'y maintenir... Un marin aperçut sur le pont un enfant en larmes, le prit dans ses bras et le sauva.

Il y eut des scènes déchirantes. Un homme voyant sombrer l'embarcation qui emportait sa femme, se jeta à l'eau et mourut. Un tirailleur sénégalais du transport, traversa en hurlant le grand pont du paquebot et plongea: il était fou; il est maintenant dans un asile et ne cesse de revoir le cortège hallucinant des désespérés...

Trois embarcations seulement purent s'éloigner... Ils passaient leur temps, qui à ramer, qui à vider l'eau de leurs canots... Ils ramaient depuis trois quart d'heure lorsqu'ils virent l'Afrique piquer de l'avant. En quelques secondes, le vieux navire avait disparu. Les quarantes réssucités attendirent que des navires apparussent au large. Ils furent sauvés.

Le dernier message de l'Afrique fut: Je suis drossé. Je vais talonner. Je marche sur le feu. Je coule.

 

Recueil du récit sur un journal de l'époque conservé par ma famille.



Carte de l'endroit où sombra le paquebot AFRIQUE

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